Les Editions de la Lettre libre - Divination poétique

Les  Editions de la Lettre libre  -  Divination poétique

L'éveil des sens vu par Charles Baudelaire - extrait des Paradis artificiels (1860) ou le lien entre drogues et création poétique.

« La seconde phase s'annonce par une sensation de fraîcheur

aux extrémités, une grande faiblesse ; vous avez, comme on dit,

des mains de beurre, une lourdeur de tête et une stupéfaction

générale dans tout votre être. Vos yeux s'agrandissent, ils sont

tirés dans tous les sens par une extase implacable. Votre face

se remplit de pâleur, elle devient livide et verdâtre. Les lèvres

se rétrécissent, se raccourcissent et semblent vouloir rentrer

en dedans. Des soupirs rauques et profonds s'échappent de

votre poitrine, comme si votre nature ancienne ne pouvait

supporter le poids de votre nature nouvelle. Les sens deviennent

d'une finesse et d'une acuité extraordinaire. Les yeux percent

l'infini. L'oreille perçoit les sons les plus insaisissables au milieu

des bruits les plus aigus.

 

Les hallucinations commencent. Les objets extérieurs

prennent des apparences monstrueuses. Ils se révèlent à vous sous

des formes inconnues jusque-là. Puis ils se déforment, se

transforment, et enfin ils entrent dans votre être, ou bien vous

entrez en eux. Les équivoques les plus singulières, les

transpositions d'idées les plus inexplicables ont lieu. Les sons ont

une couleur, les couleurs ont une musique. Les notes

musicales sont des nombres, et vous résolvez avec une rapidité

effrayante de prodigieux calculs d'arithmétique à mesure que la

musique se déroule dans votre oreille.

 

Ch. Baudelaire, OEuvres complètes, éd. C. Pichois, Pléiade.



19/04/2020
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